Le logiciel libre : une source d'inspiration pour les nouveaux modèles socio-économiques ?
Avant-propos : Ce billet est le compte-rendu d’un atelier qui a pris place lors du CantineCrisisCamp, aujourd’hui même. Je tente d’y synthétiser ce qui m’ont semblé être les réflexions majeures qui furent abordées et essaye d’enrichir le débat avec quelques pierres que je n’ai malheureusement pas pu apporter à l’édifice par manque de temps. J’ai également volontairement ommis le retour d’expérience de Michel Sasson qui devrait faire l’objet d’un autre post (accompagné d’une interview vidéo).
En ces temps de changement, ou devrais-je dire de bouleversement, il est nécessaire de définir de nouveaux modèles socio-économiques adaptés à la situation incongrue (bien que prédictible) qui est aujourd’hui la notre. Ces modèles, pour être considérés comme viables, devraient nécessairement nous permettre de subvenir à nos besoins vitaux (se loger, se nourrir, etc), tout en s’affranchissant des règles et préceptes usuels que la crise remet en question. Il est donc, dans cet objectif, nécessaire de repenser l’économie autrement : elle n’est plus production d’argent, mais de valeur. L’argent n’est qu’un paramètre permettant la comparaison de valeurs produites en dépit de leur nature qui sont bien souvent diamétralement opposées : comment comparer le travail fourni par votre femme de ménage dévouée pendant une heure à l’expresso préparé par votre barman et servi par cette resplendissante, quoi que très aimable, serveuse, que vous dégustez assis à la terrasse d’un café sans utiliser le concept d’argent ? Difficile, si ce n’est impossible, pourtant les deux services nécessitent un travail qui mérite non pas forcément un salaire au sens littéral du mot, mais tout au moins retour sur investissement de quelque forme que ce soit, du moment qu’il soit équivalent[1].
Parmi les nombreux modèles socio-économiques actuels, il en est un qui semble traverser la crise sans fléchir : le logiciel libre. Le résumer est un exercice difficile, cependant on peut aisément détâcher de ce modèle deux particularités majeures qui sont les suivantes :
- Premièrement, la source du logiciel en question est accessible à tous. Autrement dit, chacun peut prendre la recette et pourquoi pas la modifier pour la faire coller à ses besoins. Cela résulte en une énorme flexibilité et en une potentielle réattribution du travail collectif à un utilisateur qui souhaiterait en récolter les fruits de manière différente.
- Il s’agit également d’un modèle collaboratif qui met la communauté en son centre et qui profite ainsi du potentiel d’action de la masse. En effet, chaque personne récoltant les bénéfices du logiciel peut participer à son amélioration en fonction de ses compétences. Les conséquences en sont une réactivité sans faille et une implication profonde des utilisateurs dans la conception du logiciel et dans le soutien du projet dans son ensemble.
Considérant la vélocité de ce modèle face à la crise, il semble judicieux de s’en inspirer pour concevoir les initiatives futures. Des exemples d’initiatives mettant en son centre la communauté et misant sur son pouvoir ont dors et déjà pointé le bout de leur nez. Songez au référendum du 29 mai 2005 et au texte incompréhensible par le commun des mortels qu’était alors le traité établissant une Constitution pour l’Europe. Les citoyens ont de leur propre initiative entrepris un mouvement spontané visant à clarifier et expliquer ce texte dans son ensemble de manière à faciliter la prise de décision, le tout en outrepassant les canaux et intermédiaires traditionnels que sont la voix gouvernementale et la presse. Prenez également exemple du Café Libre ou du spectacle de Gustave Parking basés tous deux sur le même principe : le client (respectivement le spectateur) paye après avoir bénéficié du service selon ses moyen et son appréciation de celui-ci. Au final, les gens qui furent ainsi responsabilisés ont donné plus que ce que l’on aurait pu leur demander. Tout ceci pour conclure sur ce point : lorsque l’on responsabilise la communauté, elle se met à agir dans l’intérêt commun de manière généreuse.
Ainsi, il pourrait devenir intéressant d’utiliser le logiciel libre comme laboratoire d’expérimentation en relevant les innovations qui ont pris place à travers et autour de ce modèle, de manière à tenter de transposer ces principes à d’autres domaines. Apprendre des erreurs de ce modèles est nécessaire pour ne pas les commettre à nouveau dans un autre domaine, mais mettre en place ou adapter des innovations qui on fait leurs preuves pourrait se révéler particulièrement pertinent. On peut imaginer une réflexion autour de la crise du logement en appliquant grossièrement les principes de collectivisation (sans tomber dans les excès communistes) ou plutôt de mise en commun, sans pour autant abolir la propriété. Mais cela reste un exercice bien fastidieux et somme toute assez irréel puisque détâché de toutes ces contraintes satellitaires qui deviendraient irrémédiablement un fardeau lors des tentatives d’application de tels concepts.
Mais si la discussion a suscité beaucoup de réactions concernant la propriété privé, il m’est avis qu’un tout autre aspect de la réflexion a été occulté. Il n’y a pas que le secteur du logiciel libre qui se porte bien de nos jours, mais également d’autres modèles dédiés à la création de valeur : le secteur émergent du prêt de particulier à particulier (P2P lending) ainsi que le Web participatif (dit "2.0") et son UGC (User Generated Content) se portent également à merveille. Il serait intéressant de regarder ce qu’on en commun ces trois domaines différents pour tenter d’en tirer quelques conclusions. Voici une liste (non exhaustive) des correspondances qu’il existe au sein de ce triptyque :
- Chacun de ces modèles s’appuie sur la communauté qu’elle met en son centre.
- Il s’agit de cycles courts au sens où chaque effort initié engendre des bénéfices rapides, qu’ils soient sous la forme d’intérêts, dans le cas du P2P lending, de toute forme de contenu (commentaires, billets connexes ou autres forme de réponse par exemple) pour l’UGC, ou encore sous la forme d’un logiciel amélioré dans le cas du logiciel libre. Dans tous les cas, le retour sur investissement est rapide, ce qui contribue au dynamisme de ces secteurs.
- Une des cause de la rapidité de ces cycles est l’affranchissement des intermédiaires (plus de banquier, de société de développement intermédiaire (sauf dans certains cas particuliers), affranchissement de la ligne éditoriale classique (rédacteur, éditeur, distributeur), etc.)
- Ce sont des systèmes moins linéaires qui comportent une indéniable flexibilité et qui sont beaucoup moins affaiblis lors de l’amputation d’un acteur de la chaîne qui les compose.
En quelques lignes, nous venons donc de résumer les atouts majeurs de ces modèles de création de valeur (qu’il s’agisse de contenus, d’argent ou de services) qui ont une place incontestable dans la réponse à la question "Qu’est-ce qui rend le modèle du logiciel libre plus fort que les autres modèles face à un système capitaliste en perdition ?". Et c’est à mon avis cette réponse qui prévaut dans la recherche d’une ou des solutions alternatives viables et efficaces dans notre flirt avec la crise. Ainsi la mise en place de systèmes communautaires à cycles courts pourrait permettre de redynamiser des secteurs en crise tout en les consolidant de manière à éviter un nouvel effondrement socio-économique aux conséquences désastreuses. Pour cela, il est nécessaire de s’inspirer des modèles existants, tel le logiciel libre, pour poser les bases d’une réflexion visant à adapter les innovations qu’ils apportent à d’autres secteurs et ainsi remodeler peu à peu les secteurs économique et social à force d’inventivité, de volonté et de patience.
Notes
[1] Cette problématique complexe nécessiterait d’être développée pleinement à part. Simplement, il est très facile de comprendre que l’argent ne nous est pas nécessaire en soit et qu’on pourrait très bien l’abolir au profit d’un autre système du type "troc" nous permettant d’échanger de notre savoir faire contre de quoi subvenir à nos besoins primaires. L’argent n’est donc qu’un moyen de simplifier les échanges en universalisant et en simplifiant les échanges de diverses natures.
Commentaires
Merci pour ce compte rendu très intéressant, je travaille aussi sur ce thème depuis un bon moment, j’en avais même fait mon sujet de mémoire en sociologie..
Voici un article publié dernièrement à ce sujet :
http://encoreungeek.com/la-crise-fi…
Bel article sur le sujet que le tiens. J’ai zappé ce billet au moment de sa sortie, surement à cause d’un agrégateur débordant et je m’en mords les doigts. Je ne peux que m’accorder sur ton point de vue. Maintenant, tu sembles principalement t’intéresser à la recherche, ce qui est certes important, mais qui n’en reste pas moins un domaine d’application très restrictif de ce modèle. Dans la discussion dont j’ai tenté de rendre compte plus haut, le modèle du libre est étendu à des territoires beaucoup plus vastes.
Cependant, je suis tout à fait d’accord avec le fait que ce modèle va s’implanter de plus en plus fortement dans nos moeurs. Si l’on regarde d’un peu plus près l’histoire de l’informatique, le libre est né bien avant le propritétaire. Il s’agit donc d’une "résurrection" doublée d’un retour aux sources que le regain de ce modèle. Si l’on y réfléchit, les autres initiatives collectives telles le prêt de particulier à particulier sont eux aussi des retours aux sources. L’homme serait-il entrain de revenir instinctivement sur ses pas après avoir constaté les dérives du capitalisme ?
oui résumé tres interessant !
Merci beaucoup pour ce très bel article !
Article vraiment intéressant, surtout lorsqu’il est mis en parallèle avec celui d’Alexis
Merci pour cet article. Vous êtes très utile.
Fil des commentaires de ce billet