Déjà au lycée, je démontait l’argumentation de ma prof d’éducation civique basée sur des statistiques employées de manière plus que douteuses. C’est l’avantage des chiffres : on peut leur faire dire ce que l’on veut si l’on n’est pas très précis dans leur déclaration et que l’on ne les contextualise pas. Facile dans ces conditions de faire croire au résultat qui nous intéresse en s’appuyant de chiffres sans corrélation aucune, première étape fondatrice de l’art d’avoir toujours raison.

J’en veux pour preuve ce billet provenant de l’excellent blog En quête de sciences démontrant l’ineptie des chiffres de la sécurité routière tels qu’énoncés. En effet, impossible de comparer un mois à un autre à cause des nombreux paramètres qui rentrent en compte, tels la météo, pour en déduire la fluctuation de la vigilance des automobilistes. Pourtant, c’est bel et bien ces chiffres que l’on vous rabâche à longueur de journaux télévisés.

Une autre erreur courante est de comparer des statistiques qui ne sont pas issues du même échantillon de personnes (en taille et/ou en nature) et d’en déduire des conclusions là aussi erronées. On peut également donner l’exemple de faux syllogismes qui prennent l’apparence de raisonnements logiques sans en avoir la rigueur. C’est d’ailleurs cette méthode qui est largement employée par Ionesco, auteur dramaturge ayant publié l’absurde Rhinocéros d’où est tirée cette citation :

LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Voici donc un syllogisme exemplaire Le chat a quatre pattes. Isidore et Fricot ont chacun quatre pattes Donc Isidore et Fricot sont chats.

LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
Mon chien aussi a quatre pattes.

LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Alors, c’est un chat.

[…]

LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien après avoir longuement réfléchi.
Donc, logiquement, mon chien serait un chat.

LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Logiquement, oui. Mais le contraire est aussi vrai.

[…]

LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
C’est très beau, la logique.

LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur
A condition de ne pas en abuser.

Un autre stratagème souvent employé dans l’art d’avoir toujours raison est de parler avec conviction, même si l’on ne croit pas soi-même à ce que l’on raconte et d’invoquer les sentiments de l’auditoire. Il suffit de donner une foultitude de données ainsi que quelques conclusions que l’on estampille de "scientifiquement prouvées", tout en oubliant de mentionner que l’échantillon sur lequel a porté l’étude est composé de 10 cas sélectionnés parmi ceux qui présentaient les meilleurs résultats. Cet argumentaire a permis d’émettre un doute sur le raisonnement largement diffusé par Al Gore sans son combat contre le réchauffement climatique. Vous pouvez d’ailleurs voir un contre-reportage à ce sujet sur le blog de Vicnent.

Enfin, dernière tactique de loin la plus efficace, l’hypothèse simplificatrice. Le principe est simple : on pose pour vraie une hypothèse qui va nous permettre d’établir un raisonnement valable dans les limites du modèle envisagé. La meilleure illustration de ceci reste la physique où ces hypothèses sont omniprésentes et sont d’ailleurs la base de tout raisonnement. Je ne résiste pas là encore à partager avec vous cette petite blague que ceux qui ont étudié un tant soit peu la physique (principalement ondulatoire) en post-bac comprendront certainement[1] :

Un fermier a un problème avec ses poules qu’il n’arrive pas à régler. Il décide de faire appel à un physicien pour résoudre le problème et celui-ci réfléchit pendant de longues heures. Au bout d’un moment, il revient voir le fermier et s’exclame : j’ai une solution ! …Mais elle ne marche que pour des poules sphériques et dans le vide.

Tout ça pour souligner le fait qu’un argumentaire erroné est simple à mettre en oeuvre, en établir un solide est, par contre, beaucoup plus difficile car cela nécessite une certaine rigueur, tout en restant assez clair pour que le raisonnement soit intelligible par un auditoire varié. Reste à être assez attentif pour déceler les éventuelles failles que comportent les argumentaires mensongers pour pouvoir les dévoiler et les contrecarrer. Mais, c’est souvent moins facile à fire qu’à faire ! ;-)

Notes

[1] Pour les autres, il faut savoir que la physique utilise de nombreuses hypothèses simplificatrices présentes dans les modèles de base étudiés en cours dont les plus courants sont : une géométrie sphérique, le caractère infini d’un objet (un fil observé à très faible distance par exemple) et un environnement assimilé au vide. Ces approximations permettent la mise en place de modèles simplifiés qui conduisent à la résolution des problèmes posés avec un niveau de connaissances modeste. On obtient ainsi une première approximation du résultat en conditions réelles.