Au mon dieu, un énième billet d’hérétique qui souhaite télécharger impunément et gratuitement sans rien devoir à personne. Hum, mais le seconde partie de son titre m’intrigue : contre le copyright, mais pour le droit d’auteur ? C’est pas la même chose ?

Sans faire ici un cours d’économie (je serais d’ailleurs mal placé pour en faire un), il faut malgré tout mettre en place quelques notions. Distinguons d’abord la valeur d’un objet et son coût. La valeur d’un objet n’est autre qu’une donnée subjective faite d’un amalgame de différents paramètres. L’affection, et la nécessité font partie de ces paramètres qui définissent la valeur d’un objet. Le coût d’un objet est la quantité monétaire à débourser pour prendre possession de l’objet.

Nous vivons dans un monde où cohabitent deux économies très distinctes[1] :

  • La première est basée sur la rareté. Le principe est simple : prenez un bien matériel, plus il est rare, plus sa valeur originelle est haute. Si sa valeur augmente, son coût va irrémédiablement augmenter. Plus important encore, si je donne cet objet à quelqu’un, du fait de sa rareté, je m’en dépossède : je n’en jouis plus. Supposons cette fois que je duplique cet objet : son coût va cette fois diminuer, même si la valeur de la copie est identique à celle de l’original.
  • La seconde est quant à elle basée sur la duplication des biens immatériels. Prenez un amas de données : un e-book, une musique dématérialisée, et copiez la pour la redistribuer. Plus cet objet est partagé, plus il a de valeur. Qui oserait dire qu’une idée ou une musique n’a pas vocation à être partagée ou entendue ? Cette fois, si la valeur augmente avec la diffusion, le coût n’a quant à lui aucune raison d’augmenter de par l’abondance de l’objet dématérialisé et de par le fait que la copie n’apporte aucune valeur ajoutée à l’originale pour celui qui la détient.

Au débuts de la musique, les albums, les livres et autres objets culturels étaient matériels : ils obéissaient donc à l’économie de la rareté. Enfin, pas eux à proprement parler, mais leur support physique. Aujourd’hui, l’avènement des e-books et autres MP3 a conduit à la libération du contenu de son support matériel; ainsi, il n’obéit plus à la même économie, puisque dès lors que la copie devient possible facilement, sans coût de production supplémentaire, l’objet passe directement dans l’économie de l’abondance.

Or, c’est pour empêcher le passage à cette nouvelle économie qu’ils ne maîtrisent pas que les majors et autres lobbies ont imposé le copyright[2]. D’abord avec les DRM sur les CDs, ensuite avec les mesures anti-piratage avec les formats dématérialisés. En limitant la copie, on reste sur une économie de rareté que l’on continue à maîtriser un minimum.

Mettons les choses au clair : j’ai moi aussi, comme la majorité des jeunes de mon age, copié illégalement des CDs de musique. A vrai dire, il n’y a eu au cours de ma courte vie qu’une seule protection anti-copie qui m’ait résisté et comble de l’ironie, c’était pour faire une copie de sauvegarde d’un CD acheté légalement. Je n’appelle pas ça du "piratage" car le mot est inapproprié : je n’ai dépossédé personne, ce n’est donc pas du vol.

Mais allons un peu plus loin : l’art des majors est d’instaurer et de maintenir un fossé entre valeur, coût et prix qui les rende (largement) bénéficiaires. Ils s’arrangent pour que les coûts de production soient faibles et que la valeur reste le plus haut possible pour justifier un prix élevé et assurer une marge (prix - coût) la plus grande possible.

En ce qui concerne les nouveaux supports dématérialisés, le client n’est pas dupe : de la production à la distribution en passant par le marketing, les coûts de réalisation d’un nouvel album sont bien moindres. Du coup, le consommateur exige un prix plus bas que celui annoncé par les majors qui, de leur côté, conservent les prix au plus haut pour leur propre confort.

Pendant ce temps, le grand perdant est l’artiste qui n’a que quelques miettes à se mettre sous la dents. En effet, rappelez vous, les majors tirent les coûts vers le bas, ce qui inclut les rémunérations des artistes. Et là encore essayons d’être un peu limpide : aucun amateur de musique ne souhaite la mort d’un artiste, aussi mauvais soit-il ! Nous sommes fiers de notre diversité culturelle…

Il faut donc que l’industrie s’adapte à cette nouvelle économie. Comment ? En imaginant de nouveaux modèles économiques associés à cette économie de l’abondance. Il ne faut pas s’élever contre la duplication des contenus car c’est la pire des choses qu’un artiste puisse souhaiter : le copyright tue la musique en empêchant sa diffusion.

Par contre, il faut respecter le droit d’auteur et le renforcer. Les mesures d’écoute à la demande comme Spotify ou Deezer sont les premiers pas vers des rémunérations alternatives pour les auteurs, d’autres s’affirmeront au fil du temps. Mais empêcher le téléchargement sous prétexte que l’offre légale en streaming existe en quantité suffisante est totalement absurde !

En effet, il ne s’agit que de streaming qui ne couvre pas l’intégralité des usages mais qui se borne aux cas où l’on dispose d’une connexion internet stable, permanente et suffisante. Reste à couvrir la balado-diffusion et la diffusion offline dans son ensemble par d’autres alternatives d’offres légales permettant de rémunérer équitablement les artistes.

Enfin, il ne faut pas oublier que les droits d’auteur ont d’abord été créés pour protéger les artistes et artisans d’une utilisation commerciale abusive de leur oeuvre. En ce sens, c’est un peu comme s’ils avaient été créés pour les protéger des majors qui abusent de leur influence et qui continuent à faire, quoi qu’elles puissent en dire, des bénéfices toujours en forte croissance. C’est dans cet optique que je m’insurge et que je réclame la restauration du droit d’auteur : qu’on cesse enfin d’accuser à tort le client, internaute, amateur de musique, consommateur direct de bien culturel et que l’on protège les artistes face à la vraie menace qui abuse d’eux et de leur naïveté avant qu’il ne soit trop tard.

On va certainement me reprocher de ne pas donner de solutions, de modèles révolutionnaires et de me complaire dans une position de critique, mais ce n’est pas à moi de trouver la solution. Les alternatives existent, les modèles économiques basés sur l’économie de l’abondance sont nombreux et certains sont très efficaces, notamment concernant le logiciel libre. Je me contente pour ma part d’exprimer mon avis d’amateur d’art et de parler au nom de ceux que l’on appelle injustement "pirates", alors qu’il a été démontré que ceux qui téléchargent le plus sont les plus enclins à acheter des produits culturels. Cohérente incohérence, n’est-il pas ?

Notes

[1] Tristan Nitot explique ça bien mieux que moi : L’économie des idées

[2] J’entends ici le copyright non pas au sens juridique et classique du terme, mais au sens de restriction du droit à la copie.