La vérité du photographe
La vision est l’un des cinq sens qui nous ont été donnés dès notre naissance. Malheureusement, l’usage quotidien de ce sens nous éloigne peu à peu d’un émerveillement permanent face aux choses qui se produisent devant nous. La photographie est l’art de la mise en perspective du quotidien : mettre en exergue et sublimer des instants qui, sans y porter une quelconque attention, pourraient paraître banals. L’exercice est certes difficile, mais lorsqu’il est réussi, l’émotion transparaît et le regard diverge de son indifférence initiale pour s’écarquiller et réveiller en nous la conscience d’une beauté immanente.
Prendre goût à la photographie, c’est devenir un junkie, un marginal drogué de la composition, à la recherche du cliché parfait, de l’instant insaisissable. On finit par s’en vouloir de ne pas avoir son appareil sur soi au bon moment, on finit par composer à l’oeil nu au détour de chaque rue, de dévisager chaque scène du quotidien. On devient un peu voyeur, spectateur du monde qui nous entoure par le prisme de l’objectif méticuleusement choisi en fonction des situations. L’oeil est neuf, curieux et le regard amusé : on prend goût à redécouvrir la vie sous un autre angle.
La composition est la manière pour le photographe d’apporter de la subjectivité dans une scène où il se pose en tant qu’observateur. L’angle de vue, le cadrage, l’ouverture, l’exposition, autant de paramètres qui vont permettre au manipulateur d’images de faire transparaître la vérité telle qu’il la perçoit, telle qu’il veut la transmettre. Une fois figée, il s’approprie ce morceau de vie qui devient alors sa vérité, prête à être déshabillée par le regard des autres.
A ce jeu deux issues sont possibles : soit on a du talent et l’on gagne souvent, soit on prétend en avoir et l’on gagne rarement. A l’ère du numérique, la frénésie du déclencheur est reine et peut permettre de compenser quelque peu ce manque de talent. On shoote encore et encore, les clichés s’amoncèlent sur les disques durs et parfois une photographie se démarque et sort un peu du lot. Une seule élue parmi des centaines d’autres vouées à l’oubli. La rareté de ces clichés réussis s’explique facilement :
La composition doit être l’une de nos préoccupations constantes, mais au moment de photographier, elle ne peut être qu’intuitive, car nous sommes aux prises avec des instants fugitifs où les rapports sont mouvants.
Ainsi Henri Cartier-Bresson nous explique-t-il, au détour de cette citation, que le photographe est toujours confronté à un dilemme entre instantanéité et composition. C’est ce même dilemme qui donne d’ailleurs très probablement à cet art ses lettres de noblesses et qui fait naître des vocations…
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